Partenariat avec l’IUFM

24 juin – 19h30

A l’entrée de l’année scolaire 2006, j’ai été sollicité par la directrice de l’IUFM, Catherine Archieri et le responsable de l’organisation des formations, Dominique Forest, pour introduire un nouveau dispositif artistique dans le cursus de formation des étudiants : la danse ; cursus facultatif, ouvert à tous.

J’ai proposé une collaboration avec l’association Escabelle, qui a été acceptée.

Durant quatre années scolaires (2006 à 2010) Yves Le Du et moi-même avons mené un travail de création qui a débouché, chaque fin d’année, sur une pièce chorégraphique présentée devant les étudiants, sur le lieu de travail, c’est-à-dire le gymnase de l’IUFM, la première année, la salle de danse de l’UBO, les années suivantes.  Les pièces chorégraphiques ont aussi été accueillies durant le festival Entrendanse.

La première pièce, intitulée « Les Morphologues » vous est présentée à travers deux documents écrits (trame pédagogique et interview d’un des danseurs) et la vidéo. C’est la présentation dans le gymnase, sans jeux de lumière, qui vous est dévoilée, plutôt que celle plus « spectaculaire » sur la scène de l’Agora à Guilers. En effet, ce jour-là, dans le gymnase, les danseurs se sont produits sur scène pour la première fois de leur vie, qui plus est, devant leurs collègues venus découvrir le résultat de ce travail sur l’année. C’est à la fois, une fragilité et une envie qui se découvrent sur la vidéo et qui rendent la présentation touchante.

Jean-Claude Brélivet



Document pédagogique du projet à télécharger ici : Les Morphologues


 

Arnaud Vernay est directeur de l’école VAUBAN, à Brest depuis 2012. Il enseigne, au sein de l’école, en CM1/CM2. Une classe de 31 élèves, cette année.

L’interview a été effectuée puis rédigée par Jean-Claude BRELIVET, en juin 2020.

 

 Soyez des lions pendant une heure, pas des chèvres pendant cent ans.

inscrit sur son tableau


Arnaud, bonjour. Je te propose un temps d’échange autour des Morphologues, cette pièce chorégraphique présentée en 2007 et interprétée par des étudiants de l’IUFM.

Je me rappelle, à l’époque, te voir arriver et indiquer que tu voulais préparer le solo de danse du concours car tu ne voyais aucun intérêt à subir l’épreuve du 2000m. Tu étais le seul garçon, d’un certain âge, parmi les filles présentes. Tu n’avais pas de pratique en danse, mais tu étais motivé, non seulement à préparer le solo du concours mais aussi à participer à l’élaboration de la pièce chorégraphique. « Je  viens pour tout faire », m’as-tu dit enthousiaste !

Que te reste-t-il de cette époque où tu préparais à la fois un concours difficile car sélectif et où tu t’engageais dans une pratique du mouvement inconnue pour toi ?

J’étais dans une logique d’efficacité. Il n’y avait aucune chance que je dégage des points dans une épreuve de résistance, le 2000m, donc je suis parti sur la danse. J’étais dans un esprit de totale ouverture. Je voulais mettre toutes les chances de mon côté, donc je me devais de participer à la préparation du solo mais aussi à celle de la pièce, qui pouvait me permettre d’optimiser encore un peu plus la qualité du solo.

Une logique scolaire en quelque sorte : avoir la meilleure note possible.

Oui. Mais très vite j’ai découvert une logique artistique, une logique de création qui m’a beaucoup plu et qui a impulsé  les logiques professionnelles et pédagogiques que j’ai pu mettre en place ensuite dans mon enseignement, jusqu’à aujourd’hui. Il y a cette logique de transmission. J’ai appliqué à moi-même, par l’expérimentation personnelle, ce que j’allais demander par la suite aux élèves. Ainsi je me donnais les moyens de pouvoir transmettre aux élèves, plus tard, cette logique de créativité. Ça ne m’a jamais abandonné, c’est toujours vivant en moi. Depuis ma titularisation, chaque année, nous développons, les élèves et moi, un projet chorégraphique. Cette année nous avons mené un projet radiophonique dans lequel a été intégrée une partie dansée. Auparavant il en avait été de même dans un projet théâtral.

C’est particulièrement important avec mes élèves qui ont bien souvent des difficultés à transmettre un message, à exprimer des émotions, à partager une aventure commune, le tout dans un langage qui ne leur est pas habituel et qui ne s’inscrit pas nécessairement dans les attendus scolaires. Je capitalise là-dessus pour donner sens et motivation dans d’autres domaines d’apprentissage de l’école.

Si je reviens au contexte de l’IUFM et de ces deux projets de danse, qu’as-tu découvert sur toi-même ?

Je n’ai pas découvert de choses nouvelles sur moi-même, en fait. Je me suis immergé dans un nouveau vecteur d’expression. J’ai découvert un nouveau langage. Un langage universel, somme toute, que je peux partager aujourd’hui avec mes élèves. Je n’ai pas découvert sur moi, pas vraiment grandi, j’ai sans doute, essentiellement, trouvé un nouvel arc à ma corde.

Ah ! Et pas une nouvelle corde à ton arc ?! Peux-tu expliquer ?

Je pense que ce qu’on est, on l’est, fondamentalement. Ici c’est une nouvelle expression de moi-même qui s’est déployée. Ce ne sont pas de nouvelles compétences que j’ai pu assimiler, c’est un nouvel outil que j’ai acquis.

Qui tu es fondamentalement, cet être incarné et ancré, serait ta corde et ce domaine de la créativité exploré, la danse en l’occurrence, serait cet arc nouveau qui vient enrichir l’humain que tu es. C’est bien ça ?

Oui et ce nouvel arc contient ces notions de message et de transmission primordiales à mon sens, car reliées aux enjeux de communication et d’échange. Je constate que ce vecteur est essentiel dans mon métier, dans ce qui peut être découvert et expérimenté par les élèves.

L’importance de l’appartenance à un groupe, de la place que je peux avoir, en tant qu’individu, dans un collectif respectueux…

Oui et l’importance du regard en tant que spectateur. Ainsi mes élèves ont découvert la vidéo du spectacle qu’ils ont présenté. Ils sont passés d’acteurs à spectateurs et le choc a été brutal, voire violent pour certains qui sont sortis de la salle en cours de projection car ce qu’ils découvraient était trop perturbant par rapport à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Un choc émotionnel profond de voir ce qu’ils avaient produit, une surprise totale, inattendue. Etre danseur dans le projet est incontournable. Cependant il est aussi fondamental, à un autre moment, d’être spectateur de son propre travail, pour une mise à distance, une prise de conscience qui participe de la transformation de chacun.

C’est une réappropriation d’un travail qui leur appartient mais dont ils n’ont pas perçu la portée véritable.

Oui, ils vont dire : « Oh c’est la honte ! » en se voyant. En fait, ils prennent conscience du message qu’ils ont transmis en se regardant faire. Ce n’est pas de la honte, finalement, c’est de la pudeur.

Parlons de la dimension artistique. La danse t’a-t-elle permis, il y a 14 ans, de t’ouvrir à cette dimension ?

En fait, j’ai toujours été ouvert à l’artistique : art contemporain, peinture, arts plastiques, danse et notamment Béjart depuis l’enfance. Par contre, l’expérimenter moi-même, oui pour le coup, ce fut une nouveauté, parce que jusque-là je me mettais des freins, n’imaginant pas avoir les compétences nécessaires pour me lancer et n’ayant pas non plus eu les opportunités pour franchir le pas.

Je voudrais revenir à cette pièce « Les morphologues » visible, sur le site, en parallèle de cette interview. Quels souvenirs en gardes-tu ?

Je me rappelle de la partie création, du duo avec Aven, de ces images qui étaient projetées sur de grands blocs en bois…J’ai repris le principe récemment dans le cadre du projet avec Océanopolis « Jeunes reporters des arts et des sciences ». Et puis je me souviens du moment où les estrades (ces blocs en bois) tombaient toutes en même temps créant un impact surprenant et intéressant. Pour moi c’était le moment fort, car j’aime les ruptures en toute chose, qui cassent les lassitudes possibles.

Quel souvenir as-tu de ton solo du concours, inclus dans la chorégraphie ?

J’ai bien aimé mon solo. J’ai bien aimé le danser. Lors du concours j’ai vécu un imprévu qui l’a finalement potentialisé. Il y a eu un problème technique de lancement de la bande son. Je savais qu’un léger bip m’indiquait quand démarrer, sans musique. Or la bande son ne partait pas. Le jury commençait à s’inquiéter. Et puis j’ai entendu le bip. Donc j’ai commencé, dans le silence, à la surprise des évaluateurs. Je crois que ce contexte inattendu a finalement joué en ma faveur. Même si mon stress fut activé, j’étais prêt, j’étais dedans, d’emblée.

Et dans ton solo, y a-t-il comme dans la pièce, un moment particulier, important pour toi ?

Oui et on y revient, c’est un moment de rupture. J’enchaîne des moments liés et saccadés plutôt rapides et soudain, je fais un demi-tour et je m’arrête net. Je garde l’immobilité plusieurs secondes puis je repars dans un mouvement très lent.

C’est mon moment préféré. Je savais que si j’enchaînais bien ce passage, mon solo était réussi.

Quel souvenir gardes-tu des partenaires de danse que tu as côtoyés durant tes années à l’IUFM ?

Je me sentais plutôt en phase avec celles et ceux qui comme moi découvraient la danse, exploraient un champ personnel inédit plutôt qu’avec des danseuses/danseurs déjà expérimentés. C’est le même ressenti que j’éprouve aujourd’hui dans l’accompagnement de mes élèves, qui ne connaissent pas ou peu la danse. Je me sens plein d’élan et d’envie envers eux. D’autant qu’il n’y a pas de cadre dansé et esthétique à respecter ou imposé. Tout est ouvert, tout est possible. L’artistique peut émerger sans retenue, du moment que chacun est totalement investi.

Quel regard porte tes élèves qui auraient plus une approche, hip-hop, danses de rue, par rapport à cette démarche de danse contemporaine ?

De façon surprenante peut-être, ils sont dedans, sans à priori et ils n’ont pas de proposition hip-hop ou autre. Ils ne sont pas dans le réinvestissement de quelque chose de déjà connu. Ils prennent conscience que c’est un autre univers et ils plongent avec enthousiasme. Il y a une vraie envie de vivre une aventure nouvelle où le corps est premier.

Comme tu l’as déjà indiqué, ce que tu as pu découvrir et expérimenter en danse à l’IUFM, continue de nourrir aujourd’hui tes pratiques d’enseignant, notamment autour de l’artistique et de la création…

Oui complètement. Et j’ai le regret parfois de ne pas pouvoir en faire plus. Et puis si je regarde mes journées de classe, j’ai la sensation de danser devant eux continuellement afin de les accrocher, de les intéresser.

Tu as acquis une certaine aisance et conscience corporelle que tu perçois comme très aidante dans tes pratiques d’enseignant ?

Conscience, oui. Aisance ? Je dirais plutôt un lâcher prise corporel.

Tu te permets, en quelque sorte !

Oui je me lâche !

Du genre ?

Je peux monter sur une table pour appuyer mes propos ! Et ce qui est intéressant, c’est ce qui se passe lorsque l’on revient sur une notion déjà abordée mais oubliée. Certains vont dire « Ah oui maître ! Je me rappelle c’est quand tu étais monté sur la table. » Alors la mémoire se réactive et la démobilisation ressentie laisse place au plaisir retrouvé. J’imagine certains de mes élèves, actuellement en quatrième ou en troisième par exemple, mettant en lien l’accord du participe passé avec la montée du maître sur la table, trois ou quatre ans plus tôt !

Y a-t-il quelque chose que tu voudrais partager pour finir et que tu n’as pas encore exprimé ?

Oui, je crois qu’il faut arrêter d’éviter de dire aux élèves que l’on fait de la danse, par peur de les choquer, de les démotiver, notamment les garçons.

Il faut dire les choses : « On danse ! ». C’est ainsi permettre d’évacuer les croyances et d’ouvrir le regard sur une approche nouvelle de cet art, où tout est à inventer par chacun, à chaque instant. Tout le monde peut danser, à tout âge, quelque-soit son profil physique.

Les plus beaux compliments que j’ai eu sont venus des parents qui m’ont exprimé combien ils avaient été surpris et pour le coup touchés par ce qu’ils avaient vu, loin des logiques de démonstrations habituelles présentées en d’autres circonstances. Alors ils s’autorisent à parler de spectacle, avec respect et la conscience des enjeux artistiques et humains qui s’y rattachent.