12 juin – 19h30
La poésie est dans chaque instant de vie !
Au détour d’un regard, d’un geste, d’une rencontre, d’une danse
un instant fugace
des ombres qui passent
des images tenaces
qui emplissent l’espace
c’est ça, pour moi, Entrendanse
Gérard Le Doudic
(Banyuls, 1990)
.
Pour danser la vie, il faut d’abord écouter la musique de l’univers en soi.
So-Kain-So
Pièce pour un trio : « En gare de Brest »
Allégorie sur comment la vie se met en danse ou comment la danse devient vie.
Il est 20 heures en ce dernier vendredi de novembre. Il fait froid depuis ce matin. La porte de la gare s’ouvre et j’accélère le pas afin de me retrouver plus au chaud, plus vite. Je le remarque immédiatement.
Plusieurs détails attirent durablement mon regard. Ce jeune homme, la vingtaine, porte un tricorne de couleur. Vous savez ce chapeau de forme triangulaire à bords repliés sur la calotte. Couvre-chef surprenant même si le temps appelle à se protéger. Il est de couleur marron. Il le réajuste régulièrement, comme pour s’assurer de sa présence. Il arbore aussi un simple tee-shirt et un bermuda, quand tous autour de lui, se pressent en pulls, manteaux et écharpes.
Arrivé à sa hauteur je me retourne légèrement. Je constate avec amusement qu’il tient deux bouteilles de bière, déjà décapsulées. Une dans chaque main. Il les serre contre la poitrine, laissant comprendre leur importance.
« Il vient récupérer un pote à lui » me dis-je machinalement.
Il cherche du regard une place pour s’asseoir et attendre. Il repère le long siège inoccupé du piano de la gare. Il se dirige vers lui et sans hésiter s’installe.
Je le laisse et m’approche du panneau général des arrivées de trains. Pas de problème, celui qui m’intéresse est à l’heure. Dix minutes d’attente.
Je fais les cent pas. Je jette un œil vers le porteur de tricorne. Il tient toujours ses bouteilles, sans les entamer. Il regarde le sol, le panneau, la porte d’où sortiront les passagers. Je passe sur le quai. Dans le même temps où je perçois les feux du train au bout de la ligne droite, l’employée annonce son entrée en gare.
Mon regard instinctivement se tourne vers le jeune homme aux bières. Il s’est levé et a grimpé sur le banc du piano. Pour mieux voir, pour être vu, parce qu’il s’impatiente !
« Il est monté sur scène ! Il entrendanse ! » Me dis-je stupéfait.
Et là, soudainement, tout bascule. Je suis avec Escabelle au Mac-Orlan, à l’Athéna ou Roz-Valan, ou le Roudour ? Je ne sais, ou plutôt si ! Je suis dans les quatre à la fois, humant le tissu des fauteuils et percevant le bruissement léger de l’attente. La salle est comble. Les lumières se sont éteintes. La scène s’est éclairée. Le piano a commencé à diffuser ses premiers accords. Je reconnais un extrait de « sonates et interludes » de John Cage.
Les spectateurs autour ont fait silence en se tournant vers le danseur. Les téléphones ne résonnent plus. Le temps s’est arrêté. Lui, sur son banc, est parfaitement impassible, le regard intense et précis. Il hypnotise. Un mouvement d’épaule vient régulièrement, tel un pendule, rompre son immobilité. Soudain, il lève un bras, puis les deux, les pouces bien calés sur les goulots. Son visage exprime intensément sa concentration. Le regard balaie tout l’espace et revient inexorablement vers un point d’horizon. Il est en arrêt, mais subitement, sur un accord plus dissonant du piano et tel un diable, il gicle de la scène et court vers les fauteuils. J’aime ces moments chorégraphiques où l’espace des spectateurs devient scène ! Il prend l’allée côté jardin et s’arrête entre le septième et le huitième rang.
Un puits de lumière vient envelopper deux nouveaux danseurs, un homme et une femme. Ceux-ci ont engagé un trépignement intense, tribal, organique laissant échapper, par intermittences, des sons gutturaux. Face à eux, le tricorne esquisse quelques mouvements, à peine visibles.
« Le chorégraphe a dû chercher le contraste, me dis-je. Sympa l’effet. »
Alors, avec beaucoup de lenteur et de délicatesse, il tend l’objet vers la femme. Elle le récupère d’un ample mouvement, comme un remerciement bien visible. Puis il tend brusquement le deuxième objet à l’homme, le ramène à lui tout aussi brusquement, le porte à ses lèvres, le tend à nouveau au moment même où son partenaire le saisit avec force et précision telle la langue du crapaud assoiffé attrapant la malheureuse libellule.
« Jolie écriture » me dis-je, toujours attentif.
Le trio commence à se déplacer, dans une marche tranquille ou l’énergie de chacun diffuse chez l’autre, créant à la fois singularité et unité. Bientôt ils disparaissent derrière les rideaux en métal et en verre de la salle. Ils plongent dans la ville nocturne.
Je me tourne vers le piano qui prolonge encore quelques secondes ce temps suspendu et magique. Puis je reste en méditation, totalement sous le charme.
Une voix derrière moi, me fait sursauter :
« Eh ! On est là ! On est arrivé ! »
Je me retourne, un sourire sur le visage et je pense heureux : « Trop bien ce trio ! ». Une décision immédiate surgit : « Demain je reviens ! Y’a une autre soirée ! »
Jean-Claude Brélivet
2020
Comme un potager qu’il faut arroser
Nourrissez votre imagination pour danser
Plantez salades, tomates et rutabaga
Répétez tours, sauts et petits pas
Bêchez et aérez la terre naturellement
Dansez et improvisez tout simplement
Récoltez navets, poireaux et champignons
Créez, chorégraphiez en répétition
Cuisinez ces légumes d’exception
Donnez au public de l’émotion
Danielle Bernard, 2020