François Quinquis, papa de Lucie, 1999, Bohars

« Il y a encore quelque temps, la danse contemporaine m’était complétement inconnue, peut-être à cause de l’image fugace et floue d’un art un peu trop abrupt en apparence et difficile d’accès et dont la curieuse alchimie ne pouvait, pensais-je, n’émouvoir que les initiés.
Les questions se bousculent dans nos têtes de parents : comment font-ils celà ? Où ont-ils appris tout celà ? Et ma fille, où est-elle ma fille ?
Subjugué par cette procession pétillante de vie, je n’ai même pas pensé à la rechercher du regard ! Mais elle est là, je la reconnais bien, je reconnais chacun de ses gestes, sa manière de bouger depuis qu’elle est petite et je cherche, en vain, sa timidité, mais elle est concentrée, car elle travaille. On est stupéfait par la qualité artistique atteinte, admiratif devant le travail effectué et on jubile intérieurement car on se dit : ça y’est ! La danse – contemporaine qui plus est – et dire que c’était si simple, grâce au talent de leurs mentors de se faire raconter par des enfants, par son enfant. »

 

Ninon Robin, aujourd’hui 28 ans

Enfant, on nous demande souvent ce qu’on veut faire dans la vie alors qu’on ne connait pas la vie, je veux dire autre que l’école…
Et puis une fois qu’on a finalement le diplôme ce n’est pas fini, on se bagarre pour avoir un travail, et une fois que nous avons le travail ce n’est pas fini, il faut réussir à s’entendre avec les collègues, à diriger ses projets, et puis garder son travail, et puis essayer d’avoir une bonne retraite…
Je parle de ça parce qu’en général, c’est à ça que préparent les écoles, elles veulent mettre l’énergie pour plus tard… pour plus tard, quoi, en fait ?

Il me semble que si nous nous préparons toujours pour plus tard, notre « maintenant » est toujours dans la préparation de l’avenir… et de fait nous ne vivons pas, ou mal, le temps présent.

J’ai connu les expériences de création et le festival entrendanse, enfant-élève, à l’école de Bohars, grâce à l’engagement d’un instituteur, Yves Le Du, et j’aimerais témoigner de ceci :
Tout à coup, on revient au corps, aux sensations, à la présence d’ici, je suis là sur ce plateau, Claire là, Céline, je passe entre deux,…Il y a aussi toutes les émotions que je garde encore aujourd’hui simplement parce que cet instant était réel. Je veux dire, sans tous les concepts que nous fabriquons tout le temps, véritablement nous sommes là et nous percevons les choses, sans rien ajouter.

Même si les émotions sont là, elles ne nous entraînent pas car… nous sommes ici, à sentir, à être.
Ce qui se passe ici, c’est que, grâce au professeur, nous ouvrons quelque chose, dans le temps et l’espace.

Nous ouvrons un espace et un instant.
Autrement dit, quelques secondes suffisent pour vivre, pour être, éternellement.

Emma Le Doudic, souvenirs évoqués en 2018 lors des 20 ans d’entrendanse à Quimper

« j’ai commencé la danse à 5 ans et la danse contemporaine à 7 ans avec Yves Le Du, mon instit’ de CE1. Je me souviens de ma première chorégraphie « chaisez-vous » qu’on allait repeter au 4ème étage du Quartz à Brest qui avait alors une forme de croissant de lune. Je me souviens des ateliers hors temps scolaire, des répétitions dans le hall de l’école sur le lino trop dur qui faisait mal quand on chutait. Je me souviens de ma première chorégraphie en tant que chorégraphe, ou j’ai fait danser mes maitres et mon père, ceux qui m’avait initié à la danse.
Je me souviens du festival en tant que bénévole, des fiches de circulations, des badges, des plans, des plannings, des courses, des prises de têtes sur des petits riens pour faciliter la vie de tout le monde. Je me souviens surtout de la volonté de toujours offrir les meilleures conditions de danse aux enfants, avec un tapis de danse, des techniciens son et lumière et du silence dans la salle, le respect accordé aux enfants leur permettant de donner le meilleur d’eux-même sur scène. Je me souviens de la fierté des parents de voir leur enfant si responsable, autonome et indépendant.
Ce festival c’est d’abord une histoire de respect, de soi et des autres. »

Dominique Besnard, psychologue

« Le corps en jeu, enjeux du corps »

Ou quand la pédagogie au service de l’apprentissage et l’acquisition des connaissances prend socle dans l’épanouissement du corps des enfants. Ce corps en devenir, lieu des éprouvés émotionnels et des sécurités premières, qui libéré, autorise la prise de risque du « lâcher prise », condition nécessaire à toute transformation.
« La pédagogie, c’est l’art du détour » (G. Bachelard), parce que la pédagogie c’est le cheminement, cette situation particulière et singulière qui rassemble l’enfant qui apprend et le pédagogue qui accompagne ici et maintenant, sans préjuger des errements qui permettront les dépassements des obstacles et la création. Apprendre, c’est résister aux obstacles, apprendre c’est d’abord un problème, au sens étymologique, c’est à dire ce qui fait relief. Apprendre, c’est de la géographie, à l’initiale de l’histoire. Avant l’événement, le sens et la mémoire, il y a le contour, la surface, la limite, le mouvement, les ambiances, les paysages. La géographie est à l’histoire, ce que le corps est à l’identité personnelle. Sans la base et les fondations, les sécurités affectives ne peuvent s’ébaucher, s’étayer, se définir et les connaissances advenir.
L’enfant au monde ne peut seul parfaire cette acquisition ; c’est pourquoi le corps du petit d’homme s’inscrit dans la filiation du portage, la fonction « phorique », cette compétence et cette responsabilité de la mère, du père, de l’accompagnant et plus tard des éducateurs, de porter l’enfant sur « nos épaules psychiques tout le temps nécessaire mais juste ce qui suffit » (Hélène Chaigneau). Afin de soutenir les tentatives de construction des solidités fondatrices qui autoriseront l’émancipation des individualités et les prémisses de l’estime de soi.
L’estime de soi passe par l’image du corps, celle perçue, celle vécue et celle imaginée. Ainsi l’adolescence est cette période particulière de remobilisation du corps perturbé par les modifications physiologiques et hormonales. L’adolescent doit alors s’extirper de son corps d’enfant vers un corps mal taillé, véritable mouvement de terrain s’il en est ! Et souvent d’ailleurs les strates de ces tremblements de corps se lisent encore longtemps après et marquent l’histoire de nombre de personnes.
La danse comme support pédagogique, mode d’expression et ouverture à soi et aux autres est alors éminemment centrale. Dès le plus jeune âge, elle permet l’expression de la liberté et la prise de conscience de sa personne. Le corps en mouvement, c’est l’émergence de l’existence,
ce qui se vérifie chez le bébé posé sur le dos sur un tapis et libre de ses mouvements, soutenu par le regard de sa mère et qui commence à rêver dans le miroir de ses yeux sa propre image.
La danse c’est donner à voir, c’est se donner à voir et s’imaginer se voir ; c’est travailler le rapport à l’espace qui constituera la structure de l’histoire individuelle. Les enfants qui dansent ont cette chance et ce bonheur par l’attention bienveillante des adultes qui les encadrent, de pouvoir expérimenter, éprouver, mesurer leur corps dans le regard de l’autre et en vérifier les sensations pour eux-mêmes.
La danse est le ciment qui permet les initiatives et les tentatives qui se prolongeront dans de multiples apprentissages. Et la danse, au-delà de la maîtrise du corps, c’est l’ouverture à l’imaginaire, à l’expression artistique, à la rencontre, à la culture, à l’humanité.
Le « corps en jeu » pour tous les enfants est un plus de l’épanouissement trop peu utilisé dans les lieux collectifs; dont les incidences sur la vie sociale et le bien vivre ensemble ont des effets très contagieux et bénéfiques sur l’acceptation des différences quelles qu’elles soient, quand il est une pratique sensible régulière.
Le « corps en jeu » pour celles et ceux, enfants, adolescents qui vivent des moments difficiles ponctuels ou des souffrances avérées, est le meilleur des antidépresseurs et un remède non toxique.
Aux adultes à relever ce défi de croire à ces enjeux majeurs.